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Microscope du modèle du duc de Chaulnes

Rare microscope en bronze doré et verni, ciselé et ajouré de feuillages et rocailles, le corps cylindrique (probablement recouvert de galuchat à l’origine), complet de ses optiques, ajustable dans la hauteur grâce à une crémaillère réglable et à un micromètre à pointe, gradué à cadran émaillé surmonté d’un couvercle dévissable en forme de vase stylisé à godrons découvrant l’oeilleton ; la platine mouvementée à décor de rocailles ajourées, comprenant un manipulateur à vis micrométrique à cadran gradué en émail peint, comme le précédent, en noir sur fond blanc reposant sur quatre montants simulant des feuillages contournés, réunis à une base à doucine également ajourée incorporant un miroir pivotant servant de condensateur de lumière.

Réalisé d’après le modèle du duc de Chaulnes attribué à Jacques Caffiéri (1678-1755) et Claude-Siméon Passemant (1702-1769).

Époque Louis XV, vers 1750-1755

Hauteur (maximum) : 55 cm – Largeur : 26,5 cm -Profondeur : 20,5 cm
(Petits manques)

Estimation 200 000 – 300 000 € / Adjudication 620 000 €
Collection Seligmann, Piasa, Paris, 19 juin 2013

Provenance :
Acheté par Jacques Seligmann avant 1923

Référence bibliographique :
Jean-Nérée Ronfort, « Two acquisitions by the J. Paul Getty Museum » in The J. Paul Getty Museum Journal, vol.17, 1989, p. 47-82.

Michel-Ferdinand d’Albert d’Ailly (1714-1769), duc de Picquignyet duc de Chaulnes, représentant de la plus haute aristocratie et très proche de la Cour, fut nommé Commissaire du roi aux États de Bretagne en 1750 et créa la première école de cavalerie au sein de la compagnie des Chevau-Légers de la Garde. Actionnaire des mines de Montrelais, il consacra sa fortune considérable à une collection d’histoire naturelle, ainsi qu’à la conception et à la fabrication d’instruments scientifiques. En mettant au point ce nouveau type de microscope, il lui donna son nom. Il avait épousé Anne-Josèphe Bonnier de la Mosson et se trouvait être donc le beau-frère de Joseph Bonnier de la Mosson (1702-1744), propriétaire du célèbre cabinet de curiosités. C’est d’ailleurs probablement par son intermédiaire que le duc de Chaulnes rencontra le mécanicien Alexis Magny qui travailla dix ans pour Bonnier.

Traditionnellement uniquement neuf microscopes de ce modèle étaient répertoriés. L’apparition sur le marché de l’art du microscope de la collection Seligmann doit donc être considérée comme un événement.

Liste des microscopes répertoriés à ce jour :

  1. Musée de l’École polytechnique, Paris
  2. Musée des Arts et Métiers, Paris (probablement celui du duc de Chaulnes)
  3. Musée des Beaux Arts, Lille
  4. J. Paul Getty Museum, Los Angeles
  5. Musée des Beaux Arts, Nancy (signé Magny 1751, celui de Stanislas Leszcynski)
  6. Collection Lopez-Willshaw, Sotheby’s Monaco le 23 juin 1976, lot 23, collection particulière
  7. Collection Rothschild, vente Christie’s, Londres le 9 juillet 1999, lot 184 ; collection particulière
  8. Galerie Michel Meyer, vente Sotheby’s, Paris le 22 octobre 2008, lot 65 ; collection particulière
  9. Collection Bernard
  10. Collection Seligmann

Il ne semble pas possible, sauf peut-être pour le microscope ayant appartenu à Stanislas Leszcynski, de mettre en relation ces dix microscopes avec ceux ayant appartenu à Louis XV, madame de Pompadour ou le duc de Chaulnes lui-même. Le rapprochement du microscope du musée des Beaux-arts de Nancy avec celui de Stanislas repose sur la mention de la commande de décembre 1750 combinée à la date de 1751 complétant la signature de Magny. La commande décrit la particularité de ce microscope, inclinable et permettant donc de travailler dans la position assise que le duc de Lorraine ne pouvait malheureusement quitter. Si cette identification semble probable et fondée, celle mettant en relation le microscope des Arts et Métiers avec celui du duc de Chaulnes ne semble reposer sur aucune justification. Un tel objet, alliant à un degré d’aboutissement exceptionnel la haute technologie et la perfection esthétique n’est sans doute pas le plus simple à appréhender pour un esprit du XXIe siècle.

Si la dimension pratique a conduit à nier toute préoccupation esthétique dans nos laboratoires de recherche, c’est bien que les commanditaires ont changés. L’aristocratie des Lumières portait un intérêt plus qu’anecdotique aux sciences, tout en s’entourant d’objets de luxe. Cette double orientation, ainsi que le contexte privé de la recherche scientifique à l’époque, sont à l’origine de la conception et de la réalisation de ces objets extraordinaires, à la fois objets d’art et instruments scientifiques à la pointe de l’innovation. Le duc de Chaulnes (fig. 1), membre de l’Académie de sciences et auteur de nombreuses découvertes avait installé un cabinet de physique dans son hôtel de Vendôme rue d’Enfer (actuel boulevard Saint-Michel) aujourd’hui le siège de l’École des mines. Le goût pour la science se propagea immanquablement à son cercle de connaissance et il est probable que nombre de ses amis devaient se piquer de physique et d’optique. Cet engouement mondain donnait lieu à des réunions durant lesquelles l’assistance se livrait à des observations et petites expériences scientifiques.

On sait notamment qu’en tant qu’ami intime de Louis XV et de madame de Pompadour, celle-ci le priait fréquemment dans les Petits Appartements de Versailles pour égayer des soirées entre amis autour d’observations scientifiques.

Louis XV avait commandé la construction au château de la Muette, d’un pavillon destiné à d’étude de l’optique. En 1757, la Gazette de France confirme son achèvement : « Le Roy qui avait fait construire un pavillon à l’extrémité du jardin de La Muette, pour y placer le télescope de huit pieds que le Père Noël, de la Congrégation de Saint-Maur a fait pour Sa Majesté, sous les conseils du duc de Chaulnes (…) » (26 mars 1757). 

Ce pavillon était placé sous la garde du célèbre Dom Noël qui s’occupa de transférer le cabinet du Roi, de l’abbaye de Saint-Germain des Prés vers le pavillon de la Muette. Ce fut l’occasion de transporter la collection royale d’instruments scientifiques qui comptait de nombreux exemplaires et notamment un microscope tripode (identique à celui aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum de New York).
Ce microscope fait partie des instruments gravés dans la série des planches dites de Dom Noël, lesquelles reprennent également plusieurs fois le microscope du duc de Chaulnes. Le duc de Chaulnes mit au point un nouveau type de micromètre dit « à pointe » qui autorisait une plus grande précision dans les mesures des dimensions des objets observés. On distingue à cet égard, le micromètre oculaire (à pointe), du manipulateur micrométrique, posé sur la platine et permettant de positionner l’objet. Cette invention fut l’occasion d’une publication tardive du duc de Chaulnes à l’Académie Royale des Sciences en 1768 (Description d’un microscope et de différents micromètres).

Plusieurs années auparavant, un mémorandum écrit par Alexis Magny (1712-1777) permet de dater les améliorations micrométriques de ce microscope autour de 1749. L’Histoire et Mémoire de l’Académie des Sciences (publié à Paris en 1765) commentait également : « M. le duc de Chaulnes (…) s’était aperçu qu’au moyen du micromètre, qu’il avait appliqué il y a plus de vingt ans au microscope, il pouvait distinguer très sensiblement la quatre millième partie d’une ligne ».

Très peu de mécaniciens étaient capables de construire un tel instrument. Le duc de Chaulnes ne pouvait en pratique qu’avoir recours à Alexis Magny ou Claude-Siméon Passemant. Il semble aujourd’hui admis que la paternité de la fabrication de neuf exemplaires sur les dix connus, doit être attribuée à Passemant (Ronfort, 1989, op. cit.). Seul, en effet celui du musée de Nancy, ayant appartenu au duc de Lorraine, signé de Magny, pourrait lui être attribué. On cite par ailleurs, André Maingaut, employé par le duc de Chaulnes, comme fabricant potentiel du micromètre luimême. Aucun élément objectif ne vient soutenir l’attribution traditionnelle à Jacques Caffiéri, reprise par différents auteurs, experts en vente publique et spécialistes ainsi que par le musée Getty. Cependant un certain nombre d’arguments plaide en cette faveur. L’atelier de Jacques Caffiéri et se son fils Philippe demeure l’un des plus actifs de cette période. C’est bien notamment Caffiéri qui se voit confier la réalisation de la fameuse pendule astronomique livrée en 1754 pour le cabinet des pendules au château de Versailles dont également Passemant réalisa l’extraordinaire mécanisme, preuve que l’équipe Passemant-Caffiéri fonctionnait à merveille. 

Ce type d’ouvrage était sans aucun doute très difficile à coordonner et supposait une grande proximité et une précision exemplaire entre le mécanicien et le bronzier. Cet argument pèse également du côté de l’attribution à Caffiéri. Rappelons à cet égard la symbiose nécessaire à l’aboutissement d’un tel objet dans lequel la présence du bronze, présentant un caractère esthétique dominant, ajoute au caractère utilitaire en assurant la stabilité nécessaire aux observations scientifiques.

Sur le plan strictement technique, des rapprochements ont été effectués entre le travail de ciselure de la terrasse du microscope du duc de Chaulnes et notamment le cartel signé de Caffieri conservé au musée Getty (Ronfort, p. cit., p. 79). D’autres bronziers auraient cependant et potentiellement pu réaliser cette série de microscopes (tous de la même main sans doute), on pense notamment à Claude Javois qui semble avoir fabriqué des instruments scientifiques et collaboré avec Passemant (Ronfort, op. cit. note 85).
Il est cependant raisonnable de s’en tenir à l’attribution traditionnelle à Jacques Caffiéri, sans doute en collaboration avec son fils Philippe, et à une datation entre 1750 et 1755 ; la commande du premier microscope, faite en 1750, ajouté à l’absence du C couronné (1745-1749) sur tous les microscopes de cette prestigieuse série venant confirmer cette courte période de production. (Nous remercions le docteur Alain Stenger, auteur de l’ouvrage à paraître sur l’histoire iconographique du microscope aux XVIIe et XVIIIe siècles, pour ses informations d’une grande utilité dans la rédaction de cette notice).

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